Il y a des phrases qui ne vieillissent pas, des phrases qui résonnent dans le sang comme un tambour de guerre. Celle-ci en fait partie. Elle n’est pas seulement un souvenir historique, c’est une cloche qui sonne aujourd’hui encore, pour rappeler à chacun de nous qu’un homme sans patrie n’est qu’une ombre.
Depuis des années, je porte en moi cette phrase comme une blessure et comme une arme. Depuis des années, elle m’accompagne dans chaque pas sur cette terre étrangère. Elle s’invite à mes nuits, elle s’inscrit dans mes rêves, elle se réveille dans mes colères. Parce que je sais, au plus profond de moi, que vivre loin de sa terre, loin de son drapeau, c’est survivre, mais ce n’est pas vivre.
On m’a vu sourire. On m’a vu m’adapter. On m’a vu me fondre dans une société qui n’était pas la mienne. Mais derrière mes sourires, il y avait une morsure. Derrière mes efforts, il y avait une contradiction. Derrière mon silence, il y avait un cri.
Ce cri dit : Assez !
Assez de marcher dans des rues où je ne suis qu’un étranger.
Assez de respirer un air qui ne connaît pas mon nom.
Assez de porter une vie qui ne reflète pas mon serment.
On m’a répété: « Ici, tu es mieux. »
On m’a conseillé : « Ne pense plus à là-bas, c’est perdu. »
On m’a tenté avec des illusions de confort, de sécurité, de stabilité.
Mais personne n’a pu me convaincre d’une chose: là-bas, c’est moi.
Là-bas, ce n’est pas une statistique de pauvreté.
Là-bas, ce n’est pas une cicatrice coloniale.
Là-bas, c’est une terre qui m’a donné un nom, une langue, un sang.
Là-bas, ce sont les tambours de Bois Caïman, le feu de Dessalines, la dignité de Catherine Flon, la parole de Rosalvo Bobo.
Oui, ma décision est prise.
Elle ne date pas d’hier, elle brûle en moi depuis longtemps. Mais désormais, elle ne restera plus à l’état d’intention. Elle deviendra acte.Je ne veux pas mourir en terre étrangère, je ne veux pas que mes os reposent loin du drapeau qui m’a vu naître. Si je dois mourir, que ce soit enveloppé dans le bicolore, que ce soit les yeux tournés vers la Citadelle, que ce soit les oreilles encore pleines des voix de mon peuple.
Certains diront que c’est folie. Mais la véritable folie, n’est-ce pas de trahir sa propre patrie ? N’est-ce pas de se résigner à vivre comme une ombre dans des pays qui ne nous reconnaîtront jamais entièrement ? N’est-ce pas d’accepter d’être toléré au lieu d’être enraciné ?Je ne viens pas chercher la facilité. Je ne viens pas chercher le confort. Je viens chercher la vérité. Et ma vérité est là-bas. Je préfère souffrir dans la dignité que vivre dans le confort de la servitude. Je préfère me battre dans la lumière de mon drapeau que m’éteindre dans l’ombre de l’exil.
Alors, que l’on m’entende bien, je ne fais pas de bruit, je ne brandis pas de pancartes, je ne crie pas ma décision aux foules. Mais chaque battement de mon cœur, chaque respiration de mes poumons, chaque pas que je ferai désormais portera le sceau de cette phrase immortelle :« Je préfère mourir, m’envelopper dans mon drapeau que de servir l’étranger. »
Et cette fois, ce ne sont pas des mots jetés au vent. Ce sont des pas posés sur un chemin.
Un chemin qui ne mène pas à l’ailleurs.
Un chemin qui ramène vers l’essentiel.
Un chemin qui a toujours été le mien: Hayti.
Et cette fois, il ne s’agit plus de mots.
Il s’agit d’un chemin qui m’appelle.
D’un pays qui m’attend.
D’une promesse qui doit être tenue.