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Hayti: musique ou poison ?

Oui, la musique Haytienne est devenue un poison sonore pour un Peuple en decomposition.

Il fut un temps où la musique haytienne était un acte de civilisation. Elle racontait l’histoire d’un peuple insurgé, d’une culture fière et indomptable, d’une nation qui voulait écrire son destin malgré toutes les chaînes que le monde voulait lui imposer. La musique, chez nous, n’était pas seulement un divertissement: elle était une école populaire, une tribune politique, une mémoire collective.

Il fut un temps où la musique haytienne incarnait l’âme d’un peuple. Elle était poésie, elle était lutte, elle était conscience. Elle portait les cris de liberté, les douleurs du quotidien, mais aussi l’espérance d’un avenir meilleur. Des voix comme celles de Nemours Jean-Baptiste, Coupé Cloué, Tabou Combo, Boukman Eksperyans ou Manno Charlemagne ne se contentaient pas de faire danser, elles enseignaient, elles éveillaient, elles interpellaient. Derrière les tambours, derrière les guitares et les cuivres, il y avait toujours une idée, un combat, une fierté d’être haytien. La musique n’était pas simple bruit: elle était boussole.

Aujourd’hui, que nous reste-t-il ? Des refrains vides, des sons recyclés, des chanteurs transformés en clowns médiatiques, des foules de fanatiques sans cervelle hurlant des slogans dégradants. Nous sommes passés de la musique comme flamme de conscience à la musique comme cendre de l’esprit. La vérité est brutale, la musique haytienne contemporaine est le reflet de notre chute collective. Elle n’élève plus, elle abaisse. Elle ne questionne plus, elle endort. Elle n’inspire plus, elle avilit. Au lieu de forger une jeunesse consciente, elle fabrique des armées de danseurs sans mémoire, prisonniers d’un zin perpétuel qui anesthésie toute capacité de réflexion.

UNE MUSIQUE COMPLICE DE LA MEDIOCRITE

Quand un peuple ne pense plus, ses artistes devraient lui tendre un miroir. Mais aujourd’hui, au contraire, les artistes haytiens se font complices de cette descente aux enfers. Ils exploitent la misère culturelle pour vendre du vide. Ils transforment l’art en marchandise, la chanson en fast-food sonore, la scène en cirque. Et le peuple, réduit à un public passif, se laisse intoxiquer. Le fanatisme remplace le jugement. Les idoles remplacent les penseurs. Le vacarme remplace la vérité. Comme disait Frankétienne: « Quand le verbe se décompose, la civilisation chancelle. » Notre verbe musical s’est décomposé, et avec lui notre civilisation chancelle.

C’ÉTAIT MIEUX AVANT? OUI.

Ce n’est pas de la nostalgie aveugle de dire: c’était mieux avant. Avant, la musique faisait réfléchir même en faisant danser. Avant, le chanteur était aussi poète, éducateur, militant. Avant, la scène musicale haytienne inspirait le respect du monde entier. Aujourd’hui, nous ne sommes plus qu’une caricature de nous-mêmes.

Nous avons troqué la poésie contre des insultes, la mélodie contre le vacarme, l’engagement contre la vulgarité. Nous avons troqué la dignité de notre compas direct contre la parodie du « zin ». Mais ne nous trompons pas: la musique n’est pas la cause, elle est le symptôme. Elle reflète l’état d’un peuple. Et que nous dit ce miroir ? Qu’Hayti est en train de se consumer dans une spirale de dérive morale et culturelle. Quand un peuple n’exige plus rien de son art, c’est qu’il n’exige plus rien de lui-même.

Nous sommes devenus une société qui a oublié de penser, qui a abdiqué devant le bruit, qui a accepté la superficialité comme horizon. Un peuple qui se nourrit de musiques creuses est un peuple qui accepte de vivre dans le vide.

Si nous voulons ressusciter Hayti, il faudra ressusciter sa musique. Retrouver la force des tambours, la profondeur des paroles, la beauté du verbe créole porté par nos ancêtres. Il faudra des artistes courageux qui osent rompre avec la facilité, qui osent chanter non pour flatter mais pour réveiller.

Jean Price-Mars disait: « Un peuple sans conscience de soi n’est qu’une masse amorphe.» Aujourd’hui, notre musique contribue à nous transformer en cette masse amorphe. La responsabilité des artistes est immense, soit ils continuent de nourrir notre décadence, soit ils rallument la flamme d’une véritable conscience nationale. Car au fond, la musique n’est jamais neutre, elle est soit une arme de libération, soit un poison de domination. Autrefois, elle fut arme. Aujourd’hui, elle est poison. Demain, qu’en ferons-nous ?

Il ne s’agit pas de condamner la danse, ni le plaisir. La musique a toujours eu une dimension festive dans nos traditions. Mais autrefois, derrière la fête, il y avait un message, une histoire, une fierté. Aujourd’hui, derrière la fête, il n’y a plus rien. Et c’est bien là le drame, notre société musicale actuelle reflète l’état de notre société tout entière une société en dérive, où la superficialité a remplacé la profondeur, où le bruit a étouffé la pensée.

Pierre-Erick BRUNY
Avocat Pénaliste et chercheur en philosophie | Conférencier | Citoyen engagé pour une nouvelle Hayti.

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